Touchée par le terrorisme le 14 juillet 2016, Nice est la cité la plus vidéo-surveillée de France (1 962 caméras quadrillent les rues, soit 27 au km2). Elle dispose également de la plus importante police municipale du pays avec ses 414 policiers.
Dans ce contexte de renforcement accru de la sécurité, le maire de la ville, M. Christian Estrosi, a décidé de tester, du 10 janvier au 10 mars 2018, l’efficacité d’une application pour mobile, nommée REPORTY, pour prévenir les troubles à l’ordre public.
Cette application permet à tout citoyen d’être en lien audio et vidéo avec le centre de supervision urbain afin de dénoncer en temps réel à la police une incivilité (dépôt sauvage d’encombrants ou de déchets sur la voie publique, tags conséquents sur un bien public) ou une « situation critique » (actes de violence, vol, enlèvement, attentat, effondrement, inondation, incendie, accident) dont il serait témoin.
Tout d’abord, dans le cadre de l’examen de cette expérimentation en séance plénière le 15 mars 2018, l’instance chargée de protéger la vie privée des Français, la Cnil, énonce un principe général selon lequel les objectifs de prévention de trouble à l’ordre public et de lutte contre le terrorisme peuvent justifier la mise en œuvre de dispositifs susceptibles de porter atteinte à la vie privée.
Ensuite, la commission précise que trois conditions cumulatives doivent être réunies. L’atteinte doit être autorisée par un texte (1), limitée au strict nécessaire (2) et enfin, des conditions précises d’utilisation doivent être définies et appliquées (3).
En l’espèce, elle ne juge pas cette technologie « proportionnée », compte tenu du fait qu’elle s’applique à « un champ très large d’incidents ou d’événements, allant d’incivilités jusqu’à des infractions délictuelles et criminelles graves ».
De plus, pour la Cnil l’application mobile est un dispositif très intrusif en ce qu’il implique non seulement la collecte instantanée (pour visualisation par le centre de supervision urbain) mais aussi l’enregistrement de données telles que l’image et la voix de tiers présents sur la voie publique.
La commission en déduit qu’il existe un risque élevé de surveillance des personnes et d’atteinte à la vie privée en cas d’usage non maîtrisé d’un tel dispositif.
En outre, la mise en œuvre de cette application ne s’inscrit pas dans le cadre légal actuel de la vidéo protection sur la voie publique, régi par le code de la sécurité intérieure, parce qu’il s’agit d’un processus bien spécifique qui intègre le recours aux téléphones mobiles des particuliers dans un dispositif public sous la responsabilité de la police.
La Commission souhaite par ailleurs attirer l’attention sur deux points.
Tout d’abord, elle ne se prononce pas sur le principe général d’une « vigilance citoyenne », elle a procédé à l’examen circonstancié du projet spécifique de la ville de Nice.
Enfin, elle déplore l’absence de base légale pour les dispositifs de ce type et interpelle le ministère de l’intérieur sur la nécessité d’un encadrement juridique spécifique.
La décision de la Cnil survient alors qu’elle a publié en octobre 2017 une synthèse sur les « données personnelles au cœur de la fabrique de la smart city », où elle alertait sur les risques pour la vie privée du développement des technologies numériques dans la ville. Selon la commission, les principes d’information et de consentement, pourtant inscrits dans la loi sont « particulièrement affaiblis dans les technologies de la smart city ».
Par ailleurs, la ville de Marseille, s’est elle aussi engagée dans une démarche de smart city sécuritaire. Elle déploie un outil de collecte et d’analyse à grande échelle des données des habitants pour « garantir de manière plus efficace la sécurité et la tranquillité publique des citoyens » selon la municipalité.
Cette technologie prévoit également la participation des habitants, qui pourront « fournir en temps réel des informations (texto, vidéo, photo, vitesse de déplacement, niveau de stress…) grâce à une application sur smartphone ou des objets connectés », comme le relève, non sans inquiétude, l’association de défense des libertés individuelles sur Internet, La Quadrature du Net.
Pour le moment, la Cnil ne s’est pas exprimée publiquement sur le projet marseillais.